«La plus grande menace pour Israël n’est pas l’Iran ou le Hamas, mais sa propre hubris»

Maisons détruites dans la ville israélienne de Rishon LeZion, dans le centre d’Israël, après qu’un missile balistique tiré depuis l’Iran a frappé la région, le 14 juin 2025. (Oren Ziv)

Par Orly Noy

Cela fait plus de 46 ans que j’ai quitté l’Iran avec ma famille à l’âge de neuf ans. J’ai passé la majeure partie de ma vie en Israël, où nous avons fondé une famille et élevé nos filles, mais l’Iran n’a jamais cessé d’être ma patrie. Depuis octobre 2023, j’ai vu d’innombrables images d’hommes, de femmes et d’enfants debout à côté des ruines de leurs maisons [à Gaza], et leurs cris sont gravés dans ma mémoire. Mais quand je vois les images de l’Iran après les attaques israéliennes et que j’entends les cris en persan, ma langue maternelle, le sentiment d’effondrement en moi est différent. L’idée que cette destruction est le fait du pays dont je suis citoyenne est insupportable.

Au fil des ans, la population israélienne s’est convaincue qu’elle pouvait exister dans cette région tout en nourrissant un profond mépris pour ses voisins – se livrant à des massacres contre quiconque, quand et comme bon lui semble, en s’appuyant uniquement sur la force brute. Depuis près de 80 ans, la «victoire totale» est à portée de main: il suffit de vaincre les Palestiniens, d’éliminer le Hamas, d’écraser le Liban, de détruire les capacités nucléaires de l’Iran [1], et le paradis sera nôtre.

Mais depuis près de 80 ans, ces prétendues «victoires» se sont avérées être des victoires à la Pyrrhus. Chacune d’entre elles enfonce Israël un peu plus dans l’isolement, la menace et la haine. La Nakba de 1948 a créé la crise des réfugiés qui refuse de disparaître et a jeté les bases du régime d’apartheid. La victoire de 1967 a donné naissance à une occupation qui continue d’alimenter la résistance palestinienne. La guerre d’octobre 2023 a basculé en un génocide qui a fait d’Israël un paria mondial.

L’armée israélienne, qui est au cœur de tout ce processus, est devenue une arme de destruction massive aveugle. Elle maintient son statut vénéré auprès d’une population anesthésiée grâce à des coups d’éclat: des pagers qui explosent dans les poches et des mains des hommes sur un marché libanais, ou une base de drones implantée au cœur d’un Etat ennemi [en Iran]. Et sous le commandement d’un gouvernement génocidaire, elle s’enfonce davantage dans des guerres dont elle ne sait comment sortir.

Pendant tant d’années, sous le charme de cette armée supposée toute-puissante, la société israélienne s’est convaincue qu’elle était à l’épreuve des balles. Le culte total de l’armée, d’un côté, et le mépris arrogant des voisins régionaux, de l’autre, ont fait naître la conviction que nous n’aurions jamais à en payer le prix. Puis vint le 7 octobre, qui brisa, ne serait-ce qu’un instant, l’illusion de l’immunité. Mais plutôt que de prendre conscience de l’importance de ce moment, les citoyens se sont livrés à une campagne de vengeance. Car seul le massacre pouvait redonner un sens au monde: Israël tue, les Palestiniens meurent. L’ordre est rétabli.

C’est pourquoi les images des bâtiments bombardés [les samedi et dimanche 14-15 juin] à Ramat Gan, Rishon LeZion, Bat Yam, Tel Aviv et Tamra (une ville arabe de Galilée, près de Haifa) étaient si choquantes. Elles ressemblaient de manière troublante à celles que nous avons l’habitude de voir à Gaza: des squelettes de béton calcinés, des nuages de poussière, des rues ensevelies sous les décombres et les cendres, des jouets d’enfants serrés dans les bras des secouristes. Ces images ont brièvement brisé notre illusion collective selon laquelle nous sommes immunisés contre tout. Les victimes civiles des deux côtés – 13 Israéliens et au moins 128 Iraniens [le 15 juin] – soulignent le coût humain de ce nouveau front, même si l’ampleur reste loin de la dévastation infligée régulièrement à Gaza.

L’armée comme doctrine

Il fut un temps où certains dirigeants juifs en Israël comprenaient que notre existence dans cette région ne pouvait se fonder sur l’illusion d’une immunité totale. Ils n’étaient peut-être pas exempts d’un sentiment de supériorité, mais ils saisissaient cette vérité fondamentale. Le défunt député de gauche Yossi Sarid [2] a un jour rappelé que Yitzhak Rabin[assassiné le 4 novembre 1995 par un juif extrémiste religieux] lui avait dit: «Une nation qui montre ses muscles pendant cinquante ans finit par s’épuiser.» Rabin avait compris que vivre éternellement par l’épée, contrairement à la promesse effrayante de Netanyahou (le 27 octobre 2015), n’était pas une option viable.

Aujourd’hui, il n’y a plus de politiciens juifs de cette trempe en Israël. Lorsque la gauche sioniste se réjouit d’une attaque risquée contre l’Iran, elle révèle son attachement obstiné à l’illusion que, quoi que nous fassions, quelle que soit la profondeur de notre aliénation vis-à-vis de la région dans laquelle nous vivons, l’armée nous protégera toujours.

«Un peuple fort, une armée déterminée et un front intérieur résilient. C’est ainsi que nous avons toujours gagné, et c’est ainsi que nous gagnerons aujourd’hui», a écrit Yair Golan, chef du Parti démocrate – une fusion des partis sionistes de gauche Meretz et Travailliste – dans un message publié sur X après l’attaque du vendredi 13 juin. Sa collègue du parti, la députée Naama Lazimi, a renchéri en remerciant «les systèmes de renseignement avancés et la supériorité du renseignement. L’armée israélienne et tous les systèmes de sécurité. Les pilotes héroïques et l’armée de l’air. Les systèmes de défense d’Israël.»

En ce sens, le fantasme d’une immunité accordée par l’armée est encore plus profond dans la gauche sioniste que dans la droite. La réponse de la droite à son anxiété sécuritaire est l’anéantissement et le nettoyage ethnique – c’est son objectif final. Mais le centre gauche place sa confiance presque entièrement dans les capacités supposées illimitées de l’armée. Il ne fait aucun doute que le centre gauche juif en Israël vénère l’armée avec plus de ferveur que la droite, qui la considère simplement comme un outil pour mettre en œuvre sa vision de destruction et de nettoyage ethnique.

Nous, Israéliens, devons comprendre que nous ne sommes pas immunisés. Un peuple dont l’existence dépend uniquement de la puissance militaire est voué à finir dans les recoins les plus sombres de la destruction et, à terme, dans la défaite. Si nous n’avons pas tiré cette leçon fondamentale des deux dernières années, sans parler des quatre-vingts dernières, alors nous sommes vraiment perdus. Non pas à cause du programme nucléaire iranien ou de la résistance palestinienne, mais à cause de l’hubris aveugle et arrogante qui s’est emparée de toute une nation. (Article publié sur le site +972 le 15 juin 2025; une version de cet article a été publiée en hébreu sur Local Call. Traduction rédaction A l’Encontre)

«Orly Noy est rédactrice à Local Call, militante politique et traductrice de poésie et de prose persanes. Elle est présidente du conseil d’administration de B’Tselem et militante du parti politique Balad. Ses écrits traitent des lignes qui se croisent et définissent son identité en tant que Mizrahi, femme de gauche, femme, migrante temporaire vivant au sein d’une communauté d’immigrants permanents, et du dialogue constant entre ces différentes identités.»

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(ONU/J Carrier) Le Premier Ministre israélien, Benjamin Netanyahu, s’adresse à l’Assemblée générale des Nations Unies, le 27 septembre 2012.

[1] ONU Info: «27 septembre 2012, Benjamin Netanyahou insiste sur la nécessité de «tracer une ligne rouge» à l’Iran»

[Le 27 septembre 2012, ONU Info publiait ce résumé – que nous reproduisons dans son entier – de l’intervention de Benyamin Netanyahou lors de l’Assemblée générale de l’ONU. Une simple lecture de ce texte (qui a treize ans) avec son illustration doit suffire à défaire le discours du gouvernement israélien et les «éléments de langage» repris par l’essentiel des médias. – Réd.]

«Le Premier ministre d’Israël a demandé à la communauté internationale de «tracer une ligne rouge» afin d’empêcher l’Iran de se doter de l’arme nucléaire.

Le Premier ministre d’Israël a insisté jeudi, devant l’Assemblée générale des Nations Unies, sur la nécessité de «tracer une ligne rouge» dans un délai de six mois au plus tard, afin d’empêcher l’Iran de se doter de l’arme nucléaire.

«Imaginez une agression iranienne si ce pays avait vraiment l’arme nucléaire: qui pourrait se sentir en sécurité au Moyen-Orient ou n’importe où ailleurs dans le monde?», a lancé aux États Membres Benjamin Netanyahou, pour qui le programme nucléaire iranien, c’est «Al-Qaida doté de la bombe atomique».

Une ligne rouge, a-t-il dit, doit être tracée « dans un délai de six mois au plus tard » pour faire échec à la volonté de l’Iran d’enrichir de l’uranium et la seule façon crédible selon lui d’y parvenir est de «fermer [à ce pays] les portes de l’uranium enrichi».

Brandissant le schéma d’une bombe, le chef du gouvernement israélien a assuré que l’Iran avait achevé la première des trois phases de conception de la bombe atomique et s’apprêtait à finaliser la deuxième. «La ligne rouge doit être tracée avant que l’Iran ne finalise sa deuxième étape d’enrichissement de l’uranium», a-t-il soutenu. «Si cette ligne est clairement dessinée, l’Iran s’abstiendra et l’on donnera du temps aux négociations.»

Le Premier Ministre a jugé dangereuse l’hypothèse selon laquelle l’Iran pourrait être découragé dans ses ambitions. «Dire qu’un Iran doté de l’arme nucléaire pourrait stabiliser la région revient à dire qu’Al-Qaida doté de la bombe atomique ferait régner la paix sur terre», a-t-il ironisé.

M. Netanyahou a constaté que la diplomatie n’avait de toute évidence pas fonctionné car l’Iran, a-t-il affirmé, s’en sert pour faire avancer son programme et a même réussi, en deux ans, à doubler le nombre de ses centrifugeuses.

Évoquant, à propos du Moyen-Orient, une bataille entre «modernité et Moyen-Age», « où la connaissance est réprimée et la mort, et pas la vie, est encensée», le Premier Ministre a déclaré que c’était parce que son pays tenait tellement à la vie qu’il cherche à obtenir la paix, notamment avec les Palestiniens.

Réagissant au discours du Président de l’Autorité palestinienne, qui s’était exprimé juste avant lui, Benjamin Netanyahou a estimé que ce n’était pas avec de nobles discours et des déclarations unilatérales sur la création d’un État que l’on parviendrait à la paix. «Nous devons revenir à la table des négociations sur un État palestinien démilitarisé qui saura garantir la sécurité de l’État juif». – ONU Info (Réd. A l’Encontre)

[2] «Yossi Sarid était un défenseur intransigeant des droits de l’homme et des droits civils, de la liberté d’expression, de la séparation de l’Église et de l’État, de l’égalité devant la loi, de la transparence et de la responsabilité, et un critique virulent, effrayant d’érudition et savoureusement acerbe de l’occupation.» (Dimi Reider, +972, 9 décembre 2015)

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